Introduction

qui Atelier Nao (Jacques Anglade, Adela Ciurea, Anastasia Terres)

quoi Une halle, type communal traditionnel | Ouverte, mais transformable en salle de spectacle avec scène rétractable, parois à vantaux (polythyron), éclairage scénique et de mise en lumière | Accueille marchés hebdomadaires et petites représentations ou bals.

Centre-ville de Faverges-Seythenex (74).

quand Concours attribué : juin 2017 | Livraison: novembre 2019.

pourquoi Offrir à sa ville un espace abrité et libre, pour tout type de manifestations, à l’instar des loggias italiennes et halles de bastides.

comment Portiques formant fermes en douglas | Panneaux de contreventement et de toiture préfabriqués en bois lamellé-croisé.

pour qui Habitant·e·s de Faverges-Seythenex.

avec qui Maîtrise d’ouvrage : Ville de Faverges-Seythenex | Paysagiste : Allimant Paysages | Bureau d’études voirie & réseaux : DMI Infra | Éclairagiste : Atelier Lumière | Bureau d’études béton : Cebea | Économiste : Arcea | Charpentier : SAS Paul Giguet | Voirie & réseaux : Alciato Bouvard | Revêtements : Sols Savoie | Gros œuvre : Mazza | Éclairage : Citeos Guy Chatel | Espace scénique : També.

combien Coût total : 1,2 M € HT (compris démolition, aménagements extérieurs et équipements) | Volume de bois : 200 m³ (structure bois local : 135 m³ ; tavaillons de couverture : 30 m³).

Figure

Emmanuelle Assier | La halle de Faverges n’est pas votre première halle. Un an auparavant, vous aviez livré avec l’atelier Nao une autre halle à Lamure-sur-Azergues. Pourquoi affectionnez-vous cette figure ? Que vous évoque-t-elle ?

Jacques Anglade | La halle est un peu notre sujet idéal. Un tel programme ne requiert pas d’être étanche à l’air, on peut s’amuser, on a plus de libertés. Et puis, c’est le cœur vivant d’une ville, plus que ne peuvent l’être la mairie ou l’église. C’est le lieu où les gens échangent des idées, des sentiments. Nous sommes sensibles, justement, aux qualités des lieux publics, aux agoras, aux forums. Nous avons conçu plusieurs halles par le passé. En 1993, nous avions proposé un projet à Curitiba (Brésil), un marché couvert de 20 000 m²… Également, plus récemment, la halle de Lamure-sur-Azergues avec l’architecte mandataire Elisabeth Polzella. Partant, il y a peut-être un risque de se retrouver cantonné à ce type de projet.

La notion de halle nous évoque une forme simple, une nef, comme celle d’une église, comme celle de l’abbaye de Tamié toute proche. En y pénétrant, la première impression est marquante ; l’effet de surprise nous incite à un moment de pause et de contemplation. C’est ce que nous avons ressenti quand nous avons visité cette abbaye. Ce moment de pause et de respiration qu’un bâtiment peut provoquer, nous le recherchons dans nos projets. Une belle architecture, une belle charpente, peuvent réaliser cette aspiration vers le haut, vers l’inspiration.

Notre responsabilité à Faverges était particulièrement exigeante, de par l’implantation du projet en plein centre-ville de cette commune de 7 600 habitants. Le maire, Marcel Cattaneo, avait dans l’idée de construire le projet à proximité d’un petit bâtiment ancien avec un très bel arbre, la maison du Tabellion. Nous avons proposé d’orienter la future halle vers ce Tabellion, qui sera prochainement ouvert pour créer un lieu d’accueil. Notre intention était également de concevoir un bâtiment qui relie le passé au présent et avons donc intégré dans le projet l’ancienne tour présente sur les lieux.

Une halle pour Faverges
Vue du nord. [Béatrice Cafiéri / Topophile]

Imaginaire

Votre halle est très suggestive. Sa structure, sa charpente, sa toiture, sa silhouette m’évoquent aussi bien des constructions vernaculaires, des temples japonais, des lanternes etc. Quelle place accordez-vous à l’imaginaire ? Comment articulez-vous l’émotion suscitée par l’architecture et sa logique constructive ?

Les gens passent devant et disent, « mais c’est une cathédrale ! ». C’est bien un bâtiment laïque pourtant. La visite de l’abbaye de Tamié a dû nous inspirer. Nous sommes sensibles à ces édifices religieux, à l’épaisseur de leurs murs, aux volumes. Il y a un effet de paroi que l’on ressent à l’intérieur… ce n’était pas conscient au départ, mais nous nous sommes rendus compte que notre projet avait des similarités avec cette abbaye. Cela tient, entre autres, à cet effet de paroi (1,35-1,40 m).

Il y a aussi tout un langage de transparence, institué par le rythme dense mais ouvert des portiques. Pour nous, c’était initialement un jeu de création, sans trop de réflexion. Plus tard, nous nous sommes rendus compte de l’influence qu’avaient eu ces autres lieux proches, comme l’abbaye de Tamié.

Nous avons cherché à recréer l’émotion que nous avions pu ressentir en entrant dans ce lieu. Il y a beaucoup de verticales dans le projet. La lumière vient s’y imbriquer. Et cet ensemble crée, je crois, un sentiment d’élévation.

Le parti architectural est né de ce besoin de concevoir des parois conséquentes, d’impulser des lignes verticales et d’utiliser des bois locaux massifs. La diversité spatiale des pièces de bois massif crée cet effet de lumière qu’une structure en bois lamellé-collé plan peine à réaliser.

S’agissant de la référence à l’architecture japonaise, ce n’était pas du tout voulu. Il est pourtant vrai que le sujet m’intéresse. Cette culture esthétique m’inspire depuis presque 40 ans et je suis très impressionné par ce que l’on peut voir au Japon. Mais dans ce cas précis, je n’ai pas cherché à retranscrire littéralement une forme. Cela tient davantage aux codes universels de la construction bois. En suivant les mêmes logiques, on arrive à la même typologie. La physique nous conduit à cela. Il y a donc certes une parenté, qui selon moi provient d’une influence inconsciente et du fait même d’un usage du bois massif.

On peut dire aussi qu’une influence est à trouver en Roumanie, où il y a un patrimoine très riche de construction en bois. Adela en est originaire. Et c’est aussi ce qui caractérise l’atelier Nao : nous sommes trois personnalités — Adela, Anastasia et moi — avec un imaginaire et une culture propres, un vécu différent.

Les architectes en visite. [Atelier Nao / Topophile]

Nous appartenons à des générations différentes. Mais tous ces imaginaires créent ensemble ; nos projets sont une sorte de synthèse. Il est important de faire entendre une voix commune. Parfois, on essaye de nous catégoriser (architecte, ingénieur…), mais nous sommes au fond des bâtisseurs. Pour nous, le collectif est primordial. C’est une singularité, et aussi un modèle que nous défendons et aimerions voir se propager. Toute personnalisation est gênante pour nous. Je pense que cela fait du mal à la profession. Cela dresse une figure de l’architecte qui est inexacte.

Comment se conjugue l’imaginaire d’un projet ? Le programme que nous avions était très court. Le maire disait que la seule chose importante était une acoustique parfaite. Il est mélomane, joue de la contrebasse ; moi, je joue du violoncelle. L’amour de la musique nous a réunis. Nous nous sommes compris. Au départ, il y avait un ancien magasin de prêt à porter en face de l’office de tourisme et le maire a eu l’intuition d’ouvrir ce site central au public, faisant une vraie place centrale, à l’instar des places italiennes. Le système de portes et la composition de la toiture pour une acoustique particulière sont de notre fait. Le maire nous a fait confiance et nous l’en remercions. Sa passion s’est déclenchée à partir du moment où il a vu le chantier se concrétiser. Il s’est senti conforté dans son choix d’équipe.

Ce qui était important pour nous, c’était l’appropriation du projet par les équipes de construction locales. Ils s’en sont très bien sortis. Ils ont vraiment eu la volonté de faire quelque chose d’exceptionnel. Leur adhésion au projet, la fierté de le réaliser, c’est ce qu’on lit aujourd’hui dans cet ouvrage.

Structure

Plus précisément, quelle logique constructive avez-vous mise en œuvre ? Elle oscille entre complexité et simplicité, entre évidence et illusion, tant dans ses lignes que dans ses assemblages et ses composants.

Nous avons recherché une transparence, mais aussi un entre-deux : les parois en bois, d’apparence épaisses, forment un seuil entre l’extérieur et l’intérieur. En les traversant, le passant devient conscient qu’il change d’espace.

Les verticales sont privilégiées : c’est l’ordre. Nous évitons le désordre créé par les diagonales d’une structure triangulée grâce à la tension entre les pièces formant les arbalétriers. Initialement, nous souhaitions que les assemblages ne fassent pas recours à des pièces métalliques. Nous avons dû abandonner cette idée et employer des vis. Cependant, les assemblages au faîte sont à mi-bois. Nous avons ainsi obtenu un compromis technique.

Lors de la conception, il nous a été demandé de fournir une maquette au 1:100e, que nous avons réalisée par impression 3D à cause de la finesse requise des tiges de bois à cette échelle. Le fait de réaliser cette maquette nous a totalement convaincu. Elle a parfaitement retranscrit le message que nous voulions obtenir, cette transparence à la lumière. Cela dit, celle-ci fonctionne un peu moins bien sur l’objet fini. C’est un effet pervers du concours, nous nous sommes dirigés vers une dentelle. Je suis tombé amoureux de cette maquette, elle représentait tellement bien ce que nous cherchions. C’est la première fois que nous utilisions ce procédé dans un projet ; il nous a confortés sur le caractère du projet, de même pour le maître d’ouvrage.

Détail de la toiture. [Béatrice Cafiéri / Topophile]

Même si nous reprenons des matériaux et des techniques locales avec les tavaillons, l’idée était d’éviter le pastiche. Mais très vite, nous nous sommes heurtés à des oppositions. Pour les locaux, l’usage des tavaillons était strictement réservé aux chalets de montagne. Cela leur évoquait un bâtiment paysan. Ensuite, certains trouvaient que le bâtiment était trop haut, mais nous avions besoin de cette ampleur pour des raisons acoustiques.

La demande portait sur un bâtiment signal dans la ville. Nous ne voulions pas de forme incongrue. Nous avons opté pour une forme simple, mais recouverte de bois comme élément de différenciation. Notre projet devait s’imposer sans être criard.

Pour les essences de bois, cela a été un parcours un peu complexe. Au début, nous pensions le construire avec du sapin. À la fin, c’est devenu du douglas en raison de sa résistance aux intempéries. Le bois de sapin doit être traité, ce qui induit du transport. Par opposition, le douglas devenait compétitif parce qu’il ne requérait qu’un seul transport.

Autre absurdité : les aides pour les bois locaux sont limitées aux régions politiques. Nous ne pouvions donc pas prescrire une couverture en tavaillons en mélèze refendu des Hautes-Alpes, de grande longévité, et avons étés confrontés à des difficultés avec le tavaillon scié en châtaigner d’Auvergne, éligible, lui, aux aides, car de la même région administrative que notre projet. Les aides à la construction ne raisonnent pas en termes de bio-région.

Ensuite, la matière grise… En réalité, plutôt que de prescrire, nous émettons des vœux. Nous ne sommes pas loin de la cible, un chemin se trace. L’esprit y est.

Durant le levage des portiques formant fermes. [Atelier Nao / Topophile]

Urbanité

Une halle est éminemment urbaine et abrite toutes sortes d’activités. Quelles ont été les réflexions menées sur son intégration dans le tissu urbain ? Quels usages se sont cristallisés ? Comment cette urbanité s’établit-elle dans le centre-bourg de Faverges ?

Il était initialement proposé que le bâtiment s’ouvre vers l’office du tourisme. Nous l’avons « pivoté » délibérément pour l’ouvrir, comme dit, vers le Tabellion. Nous n’avons pas respecté non plus l’emprise au sol imposée : d’un point de vue urbain, il nous a semblé plus intéressant de reculer la halle pour l’aligner avec les façades existantes et créer ainsi une nouvelle place.

Pour nous, l’urbanité consiste à s’associer avec les bâtiments et à dessiner des parcours et des usages. La transparence permet de maintenir le lien avec la grande rue. Être perméable à la ville, c’est ce qui constitue le contexte d’urbanité. La densité des poteaux porteurs qui permet de jouer sur les deux tableaux, pour ainsi dire.

Nous avons choisi de préserver, restaurer et intégrer l’ancienne tour d’enceinte à notre édifice : elle ancre la halle dans l’espace et dans le temps. Nous y avons installé les sanitaires pour les personnes à mobilité réduite, et la régie pour l’équipement acoustique et de mise en lumière à l’étage. Cette tour est enduite afin, d’une part, de protéger sa maçonnerie et d’autre part, pour souligner le contraste entre le corps neuf et le corps réhabilitée.

Une halle, c’est un lieu de commerce et un lieu culturel. C’est un lieu de rassemblement. Les portiques jouent un rôle important car nous avons créé des assises dans les espaces. C’est presque le départ d’un lieu public, un lieu où on peut s’asseoir. C’est ce qui fait qu’on y reste. Nous créons la halte et donc la possibilité d’une rencontre.

Le système des ventaux entre portiques permet au bâtiment d’évoluer en fonction des usages diurnes et nocturnes, un peu à la manière du temple de Janus. Et puisque chaque volet se manipule manuellement, se crée tout un jeu de recomposition spatiale.

Le marché hebdomadaire et le bal du vendredi soir sont les événements caractéristiques. Puis, nous avons imaginé, et ont été imaginé, d’autres scénarii qui n’étaient pas dans le programme de départ. Il y a des expositions, des prestations de circassiens… D’autres se sont à leur tour approprié l’espace, comme des skateurs, par exemple. Les usages se déploient, du prévu à l’imprévu-bienvenu.

Propos de Jacques Anglade recueillis par Emmanuelle Assier.

Architecture
Atelier Nao : Jacques Anglade, Adela Ciurea, Anastasia Terres

Photographies & dessins
Béatrice Cafiéri, Atelier Nao