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Des bretelles pour un manteau de paille

Édouard Vermès | 19 mai 2021

Introduction

Matériau de construction sain et performant dans la construction neuve, la paille peut également être employée pour la rénovation. La forte épaisseur des bottes classiques commande plutôt une isolation thermique par l'extérieur (I.T.E.), dont les modes de pose sont souvent des adaptations de ceux de la construction neuve : ossature centrée, pose en tunnel dite « GREB » (1), technique « Nebraska », pose en caissons, etc. Un nouveau système fait exception : la pose dite « par bretelles », conçue spécifiquement pour l'I.T.E.

La quasi-totalité des enveloppes en paille recourent au bois sous forme de montants, lisses, panneaux ou même poteaux treillis, à l'instar de la maison Feuillette (2). Dans le cas de la paille structurelle, le cubage en bois est réduit, mais celui-ci est toujours présent dans les lisses hautes et basses, les précadres de menuiseries et les planchers. Dans la plupart des techniques établies jusqu'à présent, l'I.T.E. paille recourt elle aussi au bois ou à ses dérivés.

Des bretelles pour un manteau de paille
Chantier de l’I.T.E. paille par bretelles, rue de la Convention, Paris 15e // Raphael Pauschitz / Topophile

Un système sans ossature

Les produits d’isolation conventionnels, qu’ils soient en panneaux (polystyrène, fibre de bois), ou en rouleaux (fibres minérales) sont fixés à l'aide d'ancrages ponctuels : plots de colle ou rosaces en plastique. Au sein du Collect'IF Paille et des agences d'architecture Landfabrik et Trait Vivant, nous avons voulu poursuivre les recherches et les expérimentations sur l'I.T.E. en imaginant un système plus économe que les pratiques courantes. Tout est parti d'une simple question : peut-on suspendre les bottes de paille à un mur existant sans recourir à une ossature ? Après discussions, croquis et échanges, le système des bretelles commence à naître. Les bottes sont posées de chant, maintenues de façon redondante par des bretelles (en fait des feuillards utilisés par l'industrie de l'emballage). Quatre ancrages par mètre carré garantissent une répartition continue des charges sur le mur existant et réduisent les contraintes dans chaque feuillard à moins de 10 % de sa résistance annoncée.

L'isolation par l'extérieur d’un immeuble de 8 niveaux au 132, rue de la Convention (Paris 15e) pour le bailleur social Paris Habitat (3) fut l’occasion de tester la pose par bretelles à l'échelle d'un bâtiment et en chantier participatif, sur le premier et le deuxième étage. Les niveaux supérieurs ont été isolés par des bottes de paille posées entre des épines (4) en panneaux de contreplaqué par les entreprises Apijbat et Depuis 1920 ; en rez-de-jardin, les locaux techniques non chauffés ont été revêtus de panneaux de liège supports d’enduit. Le mur support, composé de moellons non enduits, offre une résistance mécanique globale suffisante pour porter la nouvelle enveloppe, bien que chaque moellon soit friable. Après quelques essais de quincaillerie, nous avons choisi des chevilles en nylon pour l’ancrage, peu agressives pour les matériaux cassants, et des anneaux d’échafaudages. Cette solution apparaît surdimensionnée : ces anneaux résistent à 1,6 t tandis que le poids de l’enveloppe rapporté à chaque ancrage ne dépasse pas 30 kg.

Axonométrie de l’I.T.E. paille par bretelles, rue de la Convention, Paris 15e //Collect'IF paille / Topophile

Il est courant d’utiliser des feuillards ou des sangles dans la construction en paille pour maintenir la compression nécessaire dans les bottes, lorsqu’elles sont structurelles. On utilise alors des sertisseurs manuels et leur consommable associé, feuillard textile ou sangle tissée en polyester. Pour ce chantier, nous avons opté et investi dans une machine de l'industrie qui présente l’avantage de garantir un niveau de compression constant sur toutes les bottes en chantier participatif. De plus, le serrage des feuillards et leur soudure deviennent des opérations très rapides.

Une version biosourcée avantageuse

Une I.T.E. en paille offre une plus grande qualité hygrothermique qu’une I.T.E. conventionnelle : elle n’empêche pas les transferts de vapeur d’eau à travers la façade et le confort d’été est nettement amélioré. L’enduit minéral épais généralement appliqué sur la paille garantit une longue durée de vie à l’enveloppe (5). Par ailleurs, sa forte épaisseur incite à la pose des menuiseries dans le plan de l’isolant, améliorant les performances et augmentant les volumes intérieurs.

Parmi les différentes manières d’utiliser la paille en I.T.E., la pose par bretelles figure parmi les plus intenses en main d’œuvre, au regard d’un coût de fourniture faible. Après la pose des bottes, la planéité du mur doit être obtenue (avec une tolérance de l’ordre du centimètre par mètre) par sciage des bottes en saillie et renformis en terre-paille des zones en creux. Pour le chantier rue de la Convention, l’irrégularité du mur en moellons a transmis ces défauts aux bottes, qui ont dû être reprises en conséquence.

Chantier d’I.T.E. paille par bretelles, rue de la Convention, Paris 15e // Édouard Vermès / Topophile

L’I.T.E. par bretelles, en plaçant l’essentiel du coût dans une main d’œuvre in situ, avec une ressource abondante et locale, propose un contrepoint aux logiques de la construction conventionnelle : aux produits de construction mis en œuvre par des poseurs, elle oppose des matériaux de construction mis en œuvre par des artisans (6).

L’avantage le plus spectaculaire du système des bretelles réside dans la faible énergie grise incorporée. Comparons quelques systèmes à résistance thermique équivalente (7,2 W·m-1·K-1) :

  • Système conventionnel en polystyrène expansé, enduit synthétique mono-couche : 137,7 kWh·m-2 ;
  • Système à épines en contreplaqué, bottes de paille, enduit chaux-sable 3 cm : 48,7 kWh·m-2 ;
  • Système en paille par bretelles, feuillards en polyester, enduit chaux-sable 3 cm : 27,8 kWh·m-2 ;
  • Système en paille par bretelles optimisé avec enduits de corps en terre et quincaillerie plus légère : 13,8 kWh·m-2.

L’enduit de corps en chaux-sable constitue une part importante de l’énergie primaire incorporée rue de la Convention. Mélange plus homogène que l’enduit en terre fibrée, il est plus facile à projeter sur les grandes surfaces qui invitent à une certaine mécanisation. Dans le cas d’un enduit de corps en terre crue et d’une simple finition en chaux-sable, l’énergie grise serait encore plus faible : dix fois moins que son équivalent en polystyrène (7) !

Le biosourcé au coût accessible

La technique par bretelles n’ayant été menée pour l’instant qu’en chantier participatif, il est encore délicat de la chiffrer. On peut toutefois estimer qu’elle est significativement moins chère que la technique par épines : elle ne nécessite pas d’ossature et le calage des bottes est plus aisé. Paris Habitat a financé ce projet à hauteur d’un budget habituel pour une I.T.E. Le prix de la technique épines est équivalent à une I.T.E. dite de qualité, c’est-à-dire un isolant protégé par un bardage métallique. Gageons que ce nouveau système par bretelles permettra de répondre aux plus faibles budgets avec la même qualité ! Les entreprises de façade et de ravalement, protagonistes principaux de l’isolation thermique par l’extérieur, sont actuellement éloignées de la filière paille. Le succès de ce premier chantier et les promesses de la technique par bretelles suscitent déjà leur intérêt.

Avant/après, I.T.E. paille par bretelles, rue de la Convention, Paris 15e //Édouard Vermès / Topophile

Une écriture à inventer

Les façades traitées avec de la paille nécessitent, de par l’épaisseur de la botte, une réécriture totale du bâtiment et invitent à questionner l’enveloppe dans son ensemble. La variété d’enduits, de vêtures et de bardages possibles, le jeu sur l’épaisseur du mur manteau, la possibilité d’habiter l’encadrement de la baie en plaçant les menuiseries à l’extérieur, sont autant d’occasions pour les architectes de redonner des qualités au bâti existant. Nul doute qu’une grande partie du patrimoine du XXe siècle profiterait d’une rénovation thermique en paille où amélioration du confort et économies d’énergie iraient de pair avec revalorisation du cadre de vie.

Notes

(1) Le Groupe de recherche écologique de la Baie, au Québec, a développé cette technique de construction où la paille vient en remplissage d’une ossature en bois très simple et favorable à l’autoconstruction.

(2) À l’occasion des 100 ans de la Maison Feuillette, Topophile a republié un article de 1921 la présentant.

(3) Maîtrise d’ouvrage : Laurence Malafosse et Benoît Quertier (Paris Habitat) | Maîtrise d’œuvre : Volker Ehrlich (Trait Vivant) et Benoît Rougelot (Landfabrik) | Thermique, façade : Denis Fréhel (Qui plus est) | Structure en MOE : Yannig Robert | Structure en EXE des entreprises : François Xavier Vendeville (Bois-paille ingénierie) | Contrôle technique de la construction : Laurent Dandres (Apave) | Coordinateur SPS : Dominique Turpin (Acor étude) | Entreprises : Apij Bat Coopérative, Depuis 1920 | Encadrement chantier de formation et d’expérimentation : Cécile Laurent et Édouard Vermès (Collect’IF Paille).

(4) La pose entre épines désigne des caissons ouverts maintenant les bottes par frottement entre des panneaux en bois contreplaqué.

(5) Concernant les systèmes d’I.T.E. conventionnels, nous nous appuyons notamment sur l’analyse d’Ariane Wilson, « Date de péremption, voir emballage », dans Criticat 17 (p. 88–113). Par ailleurs, rappelons que l’enveloppe décrite ici est similaire à celle de la maison Feuillette, qui fête en 2021 son 101e anniversaire sans avoir nécessité de rénovation.

(6) Il est temps de remonter les bretelles à cette logique néfaste !

(7) Les chiffres utilisés proviennent des bases de données des sites web d'Ecoconso A.S.B.L. et de l'université d'architecture de Wellington : nous avons rapporté l'épaisseur du panneau de polystyrène expansé à la résistance thermique d'une botte de paille (R = 7,1 W·m-1·K-1), soit une épaisseur de polystyrène de 27 cm. De même, l'enduit de synthèse décrit dans le système conventionnel ne mesure que 4 mm pour une énergie grise volumique de 3 300 kWh·m-3, tandis que les enduits chaux-sable ont une épaisseur de 30 mm (10 mm dans le système bretelles optimisé), pour une énergie grise volumique de 450 kWh·m-3.